La situation sociale et sanitaire actuelle met le projecteur sur ceux que notre système, férocement inégalitaire et individualiste, oublie de façon organisée : les laissés pour compte, les travailleurs de l’ombre, les travailleurs précaires, les artistes, les aînés, les personnes porteuses d’un handicap ou d’une maladie mentale, les familles en difficulté…
Bien sûr, dans l’urgence, des mesures ont été prises pour parer aux risques les plus aigus de l’épidémie et aux effets les plus désastreux du confinement. Le gouvernement fédéral a, par exemple, gelé la dégressivité des allocations de chômage et libéré des budgets limités pour l’aide alimentaire et les CPAS, le gouvernement régional bruxellois a instauré un moratoire sur les expulsions de logement et les coupures d’énergie et a dégagé des fonds pour parer aux urgences, notamment pour la mise en place d’hébergement provisoires à destination des personnes sans-abri et des femmes et enfants victimes de violences intrafamiliales et conjugales.
PAS OU TROP PEU DE MESURES SOCIALES
Mais les dernières décisions arrêtées ont le goût du « business as usual ». Des sommes colossales vont être mobilisées pour le soutien aux entreprises marchandes. Quant aux mesures sociales, pourtant présentées comme « urgentes » par le Groupe d’Experts en charge de l’Exit Strategy (GEES) dans son rapport du 23 avril en préparation du Conseil National de Sécurité (CNS), elles n’ont jusqu’ici même pas été abordées, ou si peu.
UN SECTEUR EN PASSE D’ÊTRE DÉBORDÉ
Plus encore que lors de la crise de 2008, le recours aux CPAS et aux services d’aide de première ligne explose. Les estimations du Bureau fédéral du Plan prévoient une augmentation de la part des Belges en privation matérielle sévère de 4,6 % à 6,6 %.
Notre système d’aide sociale sera submergé si les mesures d’aide et de soutien aux populations prises durant le confinement prennent fin et si d’autres mesures, encore attendues, ne sont pas prises rapidement. Nous réclamons le maintien de ces mesures en attendant qu’une véritable réponse systémique soit apportée sous la forme d’un contrat social renforcé. Il serait inconcevable de faire marche arrière à la sortie du confinement.
PRENDRE RAPIDEMENT DES MESURES
Nous réclamons la prise en compte des recommandations à caractère social suivantes, dont une grande partie est énoncée par le GEES :
– Augmenter tous les minima sociaux au-dessus du seuil de pauvreté.
– Augmenter les allocations familiales régionales pour les ménages dans le cadre du système d’allocations majorées et prévoir des mesures spéciales d’aide vu les dépenses supplémentaires liées au confinement (aide à l’achat d’ordinateur, par exemple, pour que les enfants puissent suivre l’enseignement à distance).
– Élargir le chômage temporaire pour force majeure à tous les travailleurs et travailleuses sans exception également, en prenant en compte les spécificités liées à certains secteurs tels que le secteur culturel (intermittence, contrats très courts et signés tardivement), afin que personne ne soit laissé sur le carreau.
– Supprimer le statut de cohabitant qui appauvrit davantage les personnes en difficulté et détourne inutilement une partie des ressources publiques vers le contrôle de ce statut.
– Automatiser rapidement l’accès à toute une série de droits (revenu d’intégration, aide médicale urgente, tiers-payant).
– Renforcer l’information et la communication qui constituent également des enjeux importants par rapport à l’accès et à l’effectivité de ces droits sociaux.
– En période de crise, transformer l’aide alimentaire, notamment en bons d’achat dans les magasins et tout autre dispositif, plus simples, plus accessibles pour ceux qui en ont besoin, et qui rendraient les gens plus autonomes aussi dans le choix de leur alimentation ;
– Octroyer des termes et délais (plans de paiement) automatiques et sans frais aux ménages en difficultés suite à la crise.
– Régulariser les personnes qui ne sont pas en ordre de séjour sur le territoire, sur base de la loi actuelle, pour des raisons de santé publique, des raisons humanitaires et économiques. Les grandes villes connaissent un taux élevé de sans-papiers dans leur population. A Bruxelles, ils en représentent 7 à 9 % ;
– Prévoir un statut administratif ouvrant l’accès aux droits de base (RIS, soins de santé…) pour les personnes sans statut : étudiants étrangers, artiste, free-lance, etc.
– Augmenter la prévention, le suivi et l’offre en soins de santé mentale et assuétudes.
Si l’on veut éviter que la crise sanitaire se transforme en une crise sociale plus profonde encore, les politiques publiques doivent se concentrer en priorité sur les groupes vulnérables.
*Signataires : Fédération des services sociaux, Fédération des services bruxellois d’aide à domicile, Fédération des maisons médicales, Fédération laïque de centres de planning familial, Fédération des centres pluralistes de planning Familial, Ligue bruxelloise pour la santé mentale, Fédération bruxelloise francophone des institutions pour toxicomanes, Fédération bruxelloise pluraliste des soins palliatifs et continus, Fédération bruxelloise des centres de coordination de soins et de services à domicile, Centre d’appui – Médiation de dettes et Fédération des maisons d’accueil et des services d’aide aux sans-abri