Communiqué de presse – Accès à l’énergie : ce n’est pas le moment de diminuer la protection !

« Trop coûteux », « irresponsable », « inefficace » … les qualificatifs vus récemment dans les médias pour décrire le système bruxellois de protection du consommateur d’énergie ne sont pas tendres. Ce discours est dangereux et hautement idéologique, particulièrement à l’heure où les prix de l’énergie explosent et où les fournisseurs sur le marché bruxellois se font rares.

La facture de gaz ou d’électricité risque bien de plonger des milliers de ménages bruxellois dans la précarité énergétique ou vers la spirale de l’endettement. Pour rappel, on évalue à 5.500EUR par an la facture globale d’énergie pour un contrat conclu en janvier 2022, alors que le revenu médian imposable par ménage en Région de Bruxelles-Capitale est de 19.723EUR par an (la facture d’énergie absorberait donc à elle seule près de 30% des revenus médians nets d’un ménage).

Les conséquences sont loin d’être anecdotiques : s’ils ne parviennent pas à conclure ou maintenir un contrat avec un fournisseur, les ménages ne sont plus approvisionnés en énergie. Concrètement, cela signifie qu’ils ne peuvent plus se chauffer, s’éclairer, cuisiner, entretenir leur logement, utiliser leurs équipements électroniques pour étudier/chercher de l’emploi/travailler, etc. Loin d’être un luxe, l’accès à l’énergie est un droit et un besoin fondamental. Lorsqu’il est mis en péril, c’est toute l’organisation sociale du ménage qui est menacée. C’est pourquoi le législateur a conçu un système de mesure et de protection du consommateur, partie faible sur le marché libéralisé du gaz et de l’électricité.

Sans recul ou analyse, certains « experts » et partis politiques reprennent pourtant les arguments des fournisseurs commerciaux et appellent à amoindrir la protection du consommateur pour relancer une dynamique concurrentielle plus forte encore, prétendu remède aux maux énergétiques des bruxellois.

La procédure avant coupure, pierre angulaire du système de protection

En Région bruxelloise, le fournisseur ne peut pas couper unilatéralement le gaz ou l’électricité en raison d’un impayé. Les textes législatifs encadrent la procédure, qui comporte plusieurs étapes d’avertissement et se conclut inévitablement par un passage devant le juge de paix, seul habilité à prononcer une coupure.

Ce « détour » par le pouvoir judiciaire fait l’objet de la principale critique des défenseurs d’un marché ultra libéralisé. Le point d’achoppement semble être que le consommateur reste dans le giron du fournisseur commercial durant toute la durée de la procédure, qui parfois s’avère longue et coûteuse au vu de l’état de nos organes judiciaires. Selon ses détracteurs, cette protection assurée par le juge pourrait avantageusement être remplacée par une procédure administrative rapide et un basculement du consommateur chez le gestionnaire de réseau au moindre impayé, à l’instar des systèmes prévus en Flandre et en Wallonie. Cette évaluation est erronée et fondée sur des présupposés non-vérifiés à ce jour.

Les différentes étapes de la procédure bruxelloise permettent au ménage de disposer du temps et de l’énergie nécessaire pour régulariser sa situation. Entamer une démarche envers le CPAS est loin d’être aussi simple que certains le laissent penser, en témoigne le désormais bien connu phénomène de non-recours aux aides. Le cas échéant, les délais prévus permettent également au consommateur de se faire conseiller par les services de première ligne quant à la meilleure stratégie à adopter pour améliorer durablement leur situation. De plus, et encore davantage lorsque le ménage trouve les ressources nécessaires pour assister à l’audience en justice, le passage devant le juge lui assure que l’ensemble de ses droits soient respectés : ainsi par exemple, les juges, indépendants et impartiaux, purgent de la
facture réclamée l’ensemble des nombreux frais non légalement justifiés. Par ailleurs, à notre connaissance, rien ne démontre qu’une procédure administrative serait moins coûteuse pour la collectivité.

Enfin, si la procédure de coupure d’énergie est à ce point problématique, il est toujours envisageable d’interdire purement et simplement celle-ci. Cette solution n’est que rarement évoquée, ou rapidement balayée sans argumentaire sérieux. Dans une société moderne et respectueuse de la dignité humaine, priver un ménage d’un bien essentiel parce qu’il n’a pas les moyens de le payer heurtera pourtant la sensibilité d’une majorité. Ne serait-il pas essentiel d’orienter les réflexions vers les alternatives au recouvrement des impayés qui ne conduiraient pas à une entrave aux droits fondamentaux des plus précaires ? C’est précisément le choix que le législateur bruxellois a posé quant à l’accès à l’eau : depuis le 1er janvier dernier, aucune interruption de fourniture pour impayé n’est désormais
possible.

L’obligation d’offrir des contrats de 3 ans, indispensable dans le contexte actuel

Une autre critique adressée à la législation bruxelloise est l’impossibilité, pour le fournisseur, de choisir avec quel consommateur et pour combien de temps il souhaite conclure un contrat. En effet, les ordonnances en vigueur imposent au fournisseur commercial de faire offre d’un contrat de trois ans à tout consommateur qui le demande (pour autant qu’aucune dette résiduelle ne subsiste auprès du fournisseur concerné). Cette mesure garantit que les acteurs commerciaux ne filtreront pas de manière discriminatoire leurs clients, d’une part, et permet aux consommateurs des conditions stables pendant plusieurs années, d’autre part. A titre d’exemple, les clients qui ont conclu un contrat à prix fixe sur trois ans avant la crise sont a priori aujourd’hui protégés contre la flambée des prix. Il s’agit donc d’une mesure particulièrement pertinente pour tout consommateur et permettant de rétablir quelque peu l’équilibre entre les parties au contrat.

Un débat orienté par les acteurs privés sans réflexion sur le fond

Une protection forte du consommateur d’énergie représente un coût, c’est certain. Mais on aborde rarement les avantages et gains permis par celle-ci, peut-être parce qu’ils sont moins facilement chiffrables et tangibles. Pourtant, un ménage qui ne bénéficie pas d’un accès durable à l’énergie est plus à risque de développer une maladie cardiovasculaire, ce qui viendra incontestablement plomber les dépenses publiques relatives à la santé. Les conséquences de la précarité énergétiques se manifestent également dans les domaines de la santé mentale, de l’éducation (une influence négative sur les résultats scolaires), du recours aux services sociaux et du mal-logement. On constate par ailleurs qu’un travailleur sera plus prompt à l’absentéisme lorsqu’il souffre de précarité énergétique. Enfin l’endettement, au départ limité aux factures d’énergie, peut devenir structurel et se répercuter dans l’ensemble des aspects de la vie d’un ménage. Investir dans la protection du consommateur d’énergie, c’est économiser autant de dépenses consécutives à la privation – volontaire ou non – de gaz ou d’électricité.

Une part du risque des impayés est, il est vrai, assumée par le fournisseur commercial, mais n’est-ce pas le jeu pour les protagonistes d’un marché libéralisé que d’assumer cette part, en contrepartie des gains potentiels ? On peut difficilement s’étonner de la volonté des fournisseurs de vouloir maximiser leurs gains : c’est la conséquence directe, avec ses dommages collatéraux, de la libéralisation du secteur de l’énergie. Mais on doit par contre regretter qu’aucune évaluation de cette libéralisation n’ait eu lieu ou ne soit à l’agenda des pouvoirs publics, malgré les effets dévastateurs de cette politique du tout au marché. Partout en Europe, afin d’assurer l’accès à l’énergie de l’ensemble de la population, les pouvoirs publics et les citoyens reprennent un rôle actif dans la gestion de l’activité de fourniture. Plutôt que d’attaquer un filet de protection indispensable aux ménages précarisés, il est temps d’évaluer la libéralisation du marché et de penser des solutions sur le long terme permettant d’assurer un avenir énergétique sain et serein pour l’ensemble des bruxellois.

Communiqué conjoint de :
la Coordination Gaz Electricité Eau Bruxelles (Nicolas Poncin)


la Fédération des Services Sociaux (Céline Nieuwenhuys)

Contact presse

Marie Hanse (Fédération des Services Sociaux)
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